L'usine des produits pyroligneux de Haybes

A la fin du 19ème siècle, dans un département forestier par excellence, mais aussi un département riche en industries métallurgiques, les Ardennes réunissaient ce subtil mélange associant besoin en charbon de bois (utilisé comme agent réducteur dans la fabrication de la fonte , mais aussi comme combustible pour la fabrication de la fonte en fer…) et matière première pour le fabriquer…Cet atout n’échappa pas à Louis Edmond Dromart qui créa à Haybes en 1872 une usine de produits pyroligneux.

L’odeur d’acide acétique qui se dégageait alors aux alentours de l’usine lui a valu le surnom local de « Vinaigrerie » .

Mais l’histoire de la « vinaigrerie » est indissociable de celle de son créateur…

Louis Edmond Dromart : Un « touche à tout », créateur de génie.

Louis Edmond Dromart est né le 8 août 1830 . Après de bonnes études primaires à Givet, il fut admis à l’école des Arts et Métiers de Châlons sur Marne en 1846. Quand il en sort en 1849, malgré un diplôme d’ingénieur en poche, il rentra comme ouvrier mécanicien chez Lenoir à Fumay (fonderie d’origine avant Bidez-Haller), et ce afin d’acquérir de nouvelles connaissances, mais surtout se mettre au courant de tous les détails des diverses étapes de la fabrication d’un produit manufacturé.

Cet homme qui fut une force de la nature fut curieux de tout.

Il germa dans son esprit un projet d’invention quirévolutionna le mondede la carbonisation : un four à distillation du bois. Son idée, améliorer le recueil des gaz issus de la distillation du bois afin d’en retirer les substances dissoutes, distillats qui jusqu’alors s’échappaient avec les fumées.

L’usine des pyroligneux

Avant de s’intéresser au site de Haybes, il créa une quarantaine de petites entreprises de carbonisation.

A Haybes, ce fut au lieu dit le « Pré Malot » , qu’Edmond Dromartfonda son usine hayboise, usine qui prit la dénomination d’« Etablissement Dromart et Cie ».

Outre Edmond Dromart, les principaux actionnaires en furent Albert Liébaut( son gendre) , directeur des cristallerie de Baccarat et Roger Catoir .

Choix judicieux de l’emplacement , en borduredu chemin d’intérêt commun n° 25 (actuel CD 7 qui relie Haybes à Hargnies)et surtout à proximité de la Meuse, voie de communications privilégiée pour le transport du bois par péniches.

En effet, l’exploitation de la forêt locale ne suffitpas à elle seule à alimenter la production de l’usine, et il fut donc nécessaire de faire venir du bois d’ailleurs.

Les infrastructures de l’usine occupaient une grande partie du terrain :

  • Deux vastes bâtiments destinés à la fabrication des acétates et à la distillation des pyroligneux , bâtiments pourvus de 4 grandes cheminées, et qui abritaient 18 fours à carboniser le bois, « système Dromart ».
  • Un bâtiment servant d’alcoolerie, avec un laboratoire, une salle de bains et une buanderie,
  • Un bâtiment partagé entre unmagasin et des bureaux,
  • Un bâtiment servant à l’entretien et qui abritait une forge, une chaudronnerie, ainsi qu’une annexe réservée à la menuiserie,
  • Trois vastes hangars renfermant des séchoirs,
  • Deux hangars à usage de magasin,
  • Sept hangars à charbon de bois,
  • Deux bâtiments avec étage, servant d’écuries, de magasin à fourrage, de remises à voitures (ces 2 bâtiments existent encore. La remise à fourrage se trouve en face des anciennes écuries, écuries transformées maintenant en local d’accueil de la maison des randonnées. De ce bâtiment avant transformation, il ne restait que les murs, un incendie l’ayant détruit dans les années 1990.
  • Un bâtiment à usage de dortoir pour les ouvriers (ce qui laisse supposer que certainsouvriers venaient de loin et passaient la semaine à Haybes ?).
  • Une petite voie ferrée fixe reliait l’usine au chemin de halage, traversait la route. Elle était destinée au passage de wagonnets chargés de bois. Les bois acheminés en « perches » par péniches étaient déchargés puis arrangésen « meules » en bordure de Meuse. Débité à bonne longueur, le bois était alors chargé sur les wagonnets etstocké dans l’enceinte de l’usine.
  • Entre la Meuse et la route, tout en bordure du ruisseau, un petit bâtiment à usage de bureau fut érigé quelques temps après l’ouverture de l’usine. Un employé pouvait alors suivre les déchargements des péniches et organiser le stockage provisoire du bois sur les bords de Meuse.

Une voie ferrée portative posée aux alentours des bâtiments permit un entreposage « flexible » de la matière première.

  • Une maison élevée sur cave avec fournil, remise et jardin, sise entre le ruisseau et le chemin des Longs Termes, à priori destinée à la direction ,
  • Une maison de contremaitre, en bordure du chemin d’intérêt commun n° 25, qui a partir d’août 1899 sera occupée par Marie Louise Dromart et son époux Alexis.

Une production diversifiée :

  • De l’acide pyroligneux à l’état brut (qui dégageait aux environs une forte odeur de vinaigre), destiné principalement à l’industrie textile pour la coloration des tissus,
  • Du charbon de bois, utilisé par les industries métallurgiques,mais aussi par les forgerons. La mode des barbecues du samedi soir n’existait pas encore…
  • De l’acétone, solvant utilisé dans l'industrie et en laboratoire
  • Du méthylène, également solvant industriel,
  • De l’acide acétique produit par la carbonylation du méthanol
  • Du « Noir »utilisé comme pigment de coloration, mais qui rentrait aussi dans la fabrication de la poudre noire (explosif),
  • Du méthanol ou alcool méthylique, utilisé dans l’industrie.

Le décès de Louis Edmond Dromart

Le 4 avril 1903 , Louis Edmond Dromart décédait subitement en son domicile haybois, à l’âge de 72 ans .

Ses obsèques eurent lieu le lundi 6 avril, en présence d’une foule importante, parmi laquelle tous les ouvriers de l’usine, les industriels des environs, la municipalité..

Après le décès d’Edmond Dromart,une nouvelle société fut créée, avec des investisseurs parisiens, issus de la noblesse. La société anonyme de pyroligneux était constituée. Mais si cette société avait pour mission de faire fonctionner l’usine hayboise, elle avait un projet d’installation d’une autre usine de pyroligneux à la Guerche, dans le Cher, dans les locaux d’une ancienne sucrerie.

Nommé directeur, Alexis Dromart restantseul, modernisa et agrandit l’usine de Haybes. Son frère Vincent quitta Haybes afin dediriger les usines d'Ivoy-le-Pré et de la Guerche-sur-l'Aubois dans le Cher,.

L’usine durant la première guerre mondiale

Durant les journées tragiques des 24,25 et 26 août 1914, les Uhlans incendièrent les maisons de Haybes. L’usine des pyroligneux ne fut pas détruite. L’importance de la production n’avait pas échappé à l’armée allemande.

En ce qui concerne la période d’occupation, le manque de documents ne permet pas actuellement de dire si l’usine poursuivit son activité.

Ce qui est certain, d’après les écrits laissés par plusieurs témoins oculaires, c’est qu’une partie des1500cadavresde Uhlans tués au cours des combats y furent incinérés (l’autre partie le futà la briqueterieBouvart).

L’entre deux guerres

Sitôt 1914, l’usine reprit son activité. Durant une vingtaine d’années, la production resta importante, voire florissante jusqu’aumilieu des années 1930.

Ensuite, l’industrie pétrochimique, principalement allemande va concurrencer fortement l’activité des usines de pyroligneux.

L’usine hayboise, la plus fragile de la société, dutcesser son activité. Les bâtiments furent vendus à Louis Bouvart, alors propriétaire d’une fonderie à Revin, peu de temps avant la seconde guerre.

La boucle est bouclée

Le pré Malot qui a accueilli l’usine des pyroligneux, puis la fonderie Bouvart, a repris maintenant ses droits. Arbres fruitiers, et essences de nos forêts remplacent désormais les cheminées, les alambics, les réfrigérants, les chaudières et autres cubilots. Seul, le bâtiment qui abrite la maison des randonnées témoigne de ce passé.

La municipalité, donna le non d’Edmond Dromart à la rue du Moulin quelques années plus tard, en reconnaissance du travail de l’industriel qui apporta au pays une activité nouvelle, mais aussi augénéreux et regretté président de la société de secours mutuels.

Guy LEPINE

Un article relatif à l’usine des pyroligneux est paru dans la dernière édition de la revue Ardenne Wallonne.